Arrêt No 2/90 du 15 Novembre 1990

Arrêt No 2/90 du 15 Novembre 1990
Source : SIJIP - Système d'informations juridiques, institutionnelles et politiques (A.I.F.)


Société A. S. A c. E. B
1 - REFERE - APPEL CONTRE UNE ORDONNANCE DE NOMINATION DE SEQUESTRE POUR VENTE DE DENREES PERISSABLES - DEFAUT DE QUALITE D'UN ACTIONNAIRE POUR AGIR AU NOM D'UNE SOCIETE (NON) - INCOMPETENCE DU JUGE DES REFERES (NON) - NOMINATION D'UN SEQUESTRE POUR VENTE DE DENREES PERISSABLES (OUI) - RESERVE DES DROITS DES INTERVENANTES VOLONTAIRES (OUI)
UNE SOCIÉTÉ A INTERJETÉ APPEL DE L'ORDONNANCE DE NOMINATION DE SÉQUESTRE POUR LA VENTE DE DENRÉES PÉRISSABLES ET DE CONSIGNATION DU PRIX DE VENTE AU GREFFE DU TRIBUNAL, RENDUE PAR LE JUGE DES RÉFÉRÉS. ELLE SOUTIENT QUE L'ACTIONNAIRE AYANT SAISI LEDIT JUGE N'A PAS QUALITÉ POUR AGIR AU NOM DE LA SOCIÉTÉ.

LA COUR A REJETÉ TOUS SES MOYENS, A CONFIRMÉ L'ORDONNANCE DE RÉFÉRÉ ET A RÉSERVÉ LES DROITS DES INTERVENANTES VOLONTAIRES.


Président : Guy MARTIN-CORREIA
Conseillers : Michel HOUNMENOU ; Eliane R RANDOLPH
Greffier : Reine TSWALASSOU
Avocats : Guy-Lambert YEKPE ; Saïdou AGBANTOU ; Hélène AHOLOU-KEKE ; Simon TOLI

LA COUR

Attendu que par exploit en date du 17 Juillet 1990 de Maître Hortense de SOUZA, Huissier à Cotonou, la Société Anonyme A., ayant pour conseils Maîtres Guy-Lambert YEKPE et Saïdou AGBANTOU, Avocats à la Cour, a interjeté appel de l'ordonnance No 342 du 12 Juillet 1990 rendue par le Président du Tribunal de Première Instance de Cotonou en matière de référé ;

Attendu que cet appel fait dans les forme et délai de la loi est recevable ;

Attendu que la Société A. S.A. par l'organe de ses conseils conclut :

- au défaut de qualité de l'Etat Béninois ;

- à l'incompétence du Juge des référés ;

Attendu qu'elle expose à l'appui du premier moyen que la Société S.S. est de par son statut une entité différente de celle de l'Etat Béninois ;

Qu'étant une Société bi-étatique de droit béninois, elle jouit d'une personalité morale propre différente de celle des actionnaires : le Nigéria - la Société L. et le Bénin ;

Que seul son représentant légal en l'occurrence le Président du Conseil d'Administration peut agir en son nom dans ses relations avec les tiers ;

Qu'aucun actionnaire, quel que soit le volume de ses actions, ne peut se prévaloir de cette qualité pour agir au nom et pour le compte de la Société ;

Qu'ayant agi ainsi qu'il l'a fait, l'Etat Béninois s'est trompé sur l'étendue de ses pouvoirs en matière de droit des Sociétés ;

Que, sur le second moyen, elle soutient que le Juge des référés substituerait cet actionnaire (l'Etat Béninois) au locataire gérant s'il autorisait la vente du stock du sucre ;

Que s'il est constant qu'elle est débitrice de la Société S.S., elle n'a cependant aucune dette vis-à-vis de l'actionnaire qu'est l'Etat Béninois ;

Que dès lors elle n'a nullement besoin de l'assistance d'une tierce personne pour procéder à la vente de sa production ;

Qu'en définitive, le Juge des référés n'est point compétent pour ordonner la vente de sa propriété par l'Etat Béninois ;

Qu'enfin elle développe que l'Etat Béninois dit des contre-vérités lorsqu'il lui impute la non-signature jusqu'à présent du contrat définitif de gérance libre d'une part et la lenteur constatée quant aux travaux d'inventaire élaborés par des experts béninois désignés de façon unilatérale par le Bénin ;

Attendu que l'Etat Béninois représenté par son Ministre de l'Industrie, de l'Energie et des Entreprises Publiques expose par l'organe de son conseil Maître Hélène KEKE-AHOLOU, Avocat à la Cour qu'en matière de référé commercial, les demandeurs doivent représenter au moins le dixième du capital social pour ester en justice et solliciter du Président du Tribunal de Commerce statuant en référé toute mesure conservatoire dès lors qu'il y a urgence et qu'il s'agit de protéger des intérêts sociaux menacés ;

Qu'en l'espèce, il a bien qualité pour agir pour être détenteur de 49 % du capital soit plus du dixième (1/10) du Capital social ;

Attentdu qu'il soutient en outre que le caractère périssable du sucre justifie à plus d'un titre la célérité et l'urgence et partant la saisine du Juge des référés conformément aux dispositions de l'Article 417 du Code de Procédure Civile ;

Qu'il sollicite, en sa qualité d'actionnaire majoritaire de la Société S.S., une mesure conservatoire ayant uniquement pour but de prévenir la menace de détérioration du stock de sucre et de sauvegarder les intérêts de ladite société ainsi que ceux de toutes les parties ;

Qu'il en résulte que le Juge des référés est compétent, la mesure sollicitée n'entamant point le fond du litige ;

Attendu par ailleurs que Dame M. D. et Consorts, toutes clientes de la Société A. S.A. et intervenantes volontaires, sollicitent par l'organe de leur conseil, Maître Simon TOLI, Avocat :

- au principal, la distraction et la livraison à leur profit de neuf cent quarante (940) tonnes de sucre blanc du stock en souffrance sur le site ;

- au subsidiaire, l'infirmation de l'ordonnance attaquée et l'exécution provisoire de l'arrêt à intervenir ;

Qu'elles soutiennent à l'appui de leurs demandes qu'avant la saisine du Juge des référés et l'intervention de l'ordonnance entreprise, elles avaient toutes acquis auprès de la Société A. 940 tonnes de sucre blanc ;

Que les paiements ont été régulièrement effectués contre reçus ;

Qu'aucune décision de justice contestant ou annulant l'achat des 940 tonnes de sucre blanc n'étant intervenue, les difficultés qui surviennent après la vente entre A. et l'Etat Béninois ne peuvent leur être opposées ;

Qu'elles exposent, enfin, que l'ordonnance entreprise commet simplement Maître LIGAN Germain, Huissier de Justice non pas en qualité de séquestre tel que prévu par l'article 1961 du Code Civil mais avec mission de vendre le stock de sucre blanc et de reverser le produit de ladite vente au Greffier en chef ;

Qu' il n'y a aucune garantie de mise en jeu de la responsabilité personnelle d'un séquestre, le cas échéant ;

Qu'il s'en suit une mauvaise application de l'article 1961 du Code Civil en l'espèce ;

Attendu qu'il est admis par la doctrine et la jurisprudence que lorsque les intérêts de la personne morale risquent d'être compromis, chacun de ses membres pris individuellement peut se substituer aux organes ayant valablement qualité pour agir afin d'exercer l'action sociale ;

Que l'exercice de cette action a été reconnu par la loi du 24 Juillet 1867 aux actionnaires pour réagir contre l'omnipotence des organes de direction au sein des sociétés par actions ;

Qu'il est également admis par la jurisprudence que lorsqu'un ou plusieurs actionnaires représentent au moins le dixième du capital social, ils ont qualité pour solliciter du Président du Tribunal de Commerce, statuant en matière de référé, toutes mesures conservatoires toutes les fois qu'il y a urgence et qu'il s'agit de protéger les intérêts sociaux ;

Que l'Etat Béninois représente à lui tout seul 49% du capital social de la Société S.S. ;

Qu'il en résulte que le Juge des référés a fait une saine appréciation de la question ;

Qu'il échet, au regard de tout ce qui précède, de déclarer l'Etat Béninois entièrement fondé à agir ès qualité ;

Attendu qu'aux termes de l'article 1961 du Code Civil le Juge peut ordonner le séquestre d'un immeuble ou d'une chose mobilière dont la propriété ou la possession est litigieuse entre deux ou plusieurs personnes ;

Que le Juge des référés peut également durant le cours d'une société et même en cas de dissolution, ordonner des mesures urgentes provisoires et conservatoires tout en réservant le fond du litige ;

Qu'en outre, la doctrine et la jurisprudence admettent que la juridiction des référés commerciaux est investie en cette matière d'une compétence spéciale et exclusive ne nécessitant pas la réunion des conditions habituelles de référé, et notamment celle de l'urgence, celle-ci étant d'ailleurs toujours présente lorsqu'il s'agit de protéger des intérêts sociaux menacés ;

Qu'en l'espèce le Juge des référés saisi a fait une saine appréciation du domaine de sa compétence ;

Qu'en effet, le caractère périssable du sucre justifie la célérité et l'urgence que requiert une solution conservatoire ;

Qu'il est incontestable que le Juge des référés, lorqu'il y a urgence, est compétent pour prescrire toute mesure conservatoire y compris le séquestre ;

Que seule l'urgence justifie la large compétence reconnue au juge des référés ;

Que c'est à bon droit que l'ordonnance querellée a décidé de la vente du stock de sucre ;

Qu'il y a lieu en conséquence de la confirmer ;

Que c'est également à bon droit que le juge des référés a ordonné la consignation du prix entre les mains du Greffier en Chef ;

Qu'en commettant un huissier de justice pour procéder à la vente du stock de sucre et en faisant consigner le prix entre les mains du Greffier en Chef, le Juge des référés saisi a entendu donner à la notion de séquestre, dans le cas d'espèce, son acception la plus large ;

Qu'il est constant que cette mission de séquestre en l'espèce s'inscrit dans le cadre de l'étendue de la compétence du juge des référés ;

Que ladite mission s'identifie à la mesure conservatoire voire provisoire prise par le Juge des référés ;

Qu'il échet de la déclarer régulière ;

Attendu que Dame M. D. et consorts constituent en la cause des intervenantes volontaires ;

Qu'il y a lieu de les recevoir en leur action ;

Attendu que les intéressées sollicitent la livraison de neuf cent quarante (940) tonnes de sucre blanc dont le prix a été déjà payé entre les mains de l'appelante ;

Qu'il est en effet versé aux débats des reçus faisant état des versements effectués ;

Qu'il y a lieu, à cette étape de la procédure, de réserver leurs droits ;

Par ces motifs :

Statuant publiquement, contradictoirement en matière commerciale, en référé et en dernier ressort ;

En la forme :

- Reçoit l'appel de la Société A. S.A. comme régulièrement interjeté ;

- Reçoit également Dame M. D. et consorts en leur intervention volontaire ;

Au fond :

- Confirme l'ordonnance entreprise en toutes ses dispositions ;

- Réserve les droits des intervenantes volontaires ;

- Condamne l'appelante aux dépens ;

Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la Cour d'Appel de Cotonou.