Arrêt no 26/91 du 23 mai 1991

Arrêt no 26/91 du 23 mai 1991
Source : SIJIP - Système d'informations juridiques, institutionnelles et politiques (A.I.F.)


Société Nationale T. et C c. Cie A. et O
1 - TRANPORTS MARITIMES - PRESCRIPTION ANNALE DE L'ACTION POUR PERTES ET AVARIES EN RAISON DE LA NON PARTICIPATION D'UNE PARTIE A UN ACCORD DE PROROGATION (OUI) - RESPONSABILITE DU CONSIGNATAIRE DU NAVIRE POUR PERTES ET AVARIES NON ETABLIES, POUR ABSENCE DE FAUTE PERSONNELLE (NON) - RESPONSABILITE DU TRANSPORTEUR ET DU CAPITAINE DU NAVIRE EN TANT QUE REPRESENTANTS LEGAUX (OUI) - DOMMAGES-INTERETS POUR RESISTANCE ABUSIVE (NON)

UNE COMPAGNIE D'ASSURANCE A ASSIGNÉ EN PAIEMENT DE LA SOMME CORRESPONDANT À LA VALEUR DES MARCHANDISES PERDUES AU COURS D'UN TRANSPORT MARITIME AVEC INTÉRÊTS DE DROIT ET EN DOMMAGES-INTÉRÊTS LE CONSIGNATAIRE, LE CAPITAINE D'UN NAVIRE ET L'ACCONIER . LA PRESCRIPTION DE L'ACTION DE LA COMPAGNIE D'ASSURANCE SOULEVÉE PAR L'ACCONIER ET LE CONSIGNATAIRE A ÉTÉ REJETÉE PAR LE TRIBUNAL QUI A CONDAMNÉ LE CONSIGNATAIRE EN TANT QUE MANDATAIRE DU CAPITAINE DU NAVIRE AU PAIEMENT DES SOMMES DEMANDÉES.

APPEL A ÉTÉ INTERJETÉ DU JUGEMENT PAR LE CONSIGNATAIRE ET L'ACCONIER . LA COUR A, D'UNE PART RETENU LA PRESCRIPTION DE L'ACTION DE LA COMPAGNIE À L'ÉGARD DE L'ACCONIER MOTIF PRIS DE CE QU'IL N'A PAS ÉTÉ PARTIE À L'ACCORD DE PROROGATION DONNÉ PAR L'ARMATEUR, ET D'AUTRE PART REJETÉ LA PRESCRIPTION À L'ÉGARD DU CONSIGNATAIRE PARCE QU'IL NE CONTESTE PAS LES TERMES DE LA CORRESPONDANCE DE PROROGATION DU DÉLAI DE PRESCRIPTION ET RECONNAÎT QUE LADITE CORRESPONDANCE PROVIENT DE L'ARMATEUR . LA COUR A ÉGALEMENT REJETÉ LA RESPONSABILITÉ DU CONSIGNATAIRE EN SA QUALITÉ DE MANDATAIRE DE L'ARMATEUR, ET RETENU CELLE DU CAPITAINE REPRÉSENTANT LÉGAL DE L'ARMATEUR.


Président : Clotilde MEDEGAN
Conseillers : KOUKOUI H ; FALADE V
Avocats : DOSSOU ; FELIHO ; AMORIN

La Cour

Attendu que par exploit en date du 17 Avril 1985, la Société Nationale T., agissant aux poursuites et diligences de son Directeur Général, et le Capitaine du navire S/S S., agissant tant en son nom personnel qu'ès qualité représentant légal de l'armateur et représenté lui-même dans la présente cause par la Société Nationale T., ont, tous deux assistés de Me Robert DOSSOU, relevé appel du jugement contradictoire no 71 en date du 27 Mars 1985 rendu par le Tribunal de Première Instance de Cotonou ;

Attendu que par conclusions du 22 Avril 1987, Me François AMORIN déclare, pour le compte de O., interjeter appel incident de la même décision ;

Attendu que ces appels sont intervenus selon les forme et délai prescrits par la loi, qu'il échet de les déclarer recevables ;

Attendu que suivant connaissement no 4 émis à Kobè (Japon) le 27 Février 1980, la société H.B. a fait charger sans réserve sur le navire S/S S. à destination de Cotonou huit cartons de foulards ; qu'après débarquement, quatre cartons ont été retrouvés vides ; que la Compagnie d'Assurance "La F." subrogée dans les droits et actions de la H.B., a assigné le capitaine du navire, la Société Nationale T. et O. en paiement de la somme de 748.458 F représentant la contre valeur des marchandises perdues, avec les intérêts de droit, et celle de 150.000 F à titre de dommages-intérêts ;

Que par jugement no 71 du 27 Mars 1985, le Tribunal de Première Instance de Cotonou a rejeté la prescription de l'action de "La F." soulevée par la Société Nationale T. et O., dit que la Société Nationale T. prise en sa qualité de mandataire du capitaine du navire s/s S. est seule responsable des pertes et avaries, et l'a en conséquence condamnée à payer à la Cie d'Assurance "La F." les sommes de 748.458 F avec les intérêts de droit à compter du 9 Octobre 1981, date de l'assignation, et 150.000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Qu'appel de cette décision a été formé par la Société Nationale T., et O. ;

Attendu que Maître Robert DOSSOU soutient que la Société Nationale T., prise en sa qualité de consignataire du navire s/s S., est un mandataire de l'armateur, et en tant que tel, elle ne peut, conformément à l'article 245 du Code Béninois de Commerce Maritime et au droit commun du mandat, être personnellement tenue responsable des pertes et avaries ;

Qu'il soulève par ailleurs la prescription de l'action de "La F." ;

Qu'il sollicite en conséquence l'infirmation du jugement querellé, la mise hors de cause de la Société Nationale T., le débouté de "La F." de son action pour cause de prescription ;

Attendu que Maître AMORIN conclut, au principal, à la prescription de l'action de "La F." à l'égard de O. et en conséquence à la réformation du jugement entrepris, motif pris de ce que O. n'était pas partie à l'accord de prorogation du délai de prescription, et au subsidiaire, à la confirmation dudit jugement en ce qu'il a mis O. hors de cause ;

Qu'il sollicite en outre la condamnation de "La F." à lui payer 75.000 F à titre de dommages-intérêts ;

Attendu que Maître FELIHO, conseil de "La F." sollicite la confirmation du jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Qu'en effet, il soutient que l'action de "La F." n'est pas prescrite ; qu'en outre, la Société Nationale T., en sa qualité de mandataire de l'armateur, remplace celui-ci pour les condamnations prononcées contre lui ; que s'il en était autrement, les décisions rendues à l'encontre de l'armement seul risqueraient de demeurer lettre morte, le Capitaine n'étant pas domicilié au port de débarquement (en l'occurrence Cotonou) et n'y ayant aucun bien saisissable ;

Attendu que selon les dispositions des articles 182 et 266 du Code de Commerce Maritime, les actions pour pertes et avaries contre l'acconier et le transporteur sont prescrites dans le délai d'un an à dater du jour où les marchandises ont été livrées au destinataire, à son représentant ou au réclamateur qualifié ;

Attendu qu'en l'espèce, la Société Nationale T. et "La F." adoptent deux dates différentes comme point de départ du délai de prescription ;

Qu'en effet, la Société Nationale T. soutient que la prescription commence à courir du jour où O., acconier, lui a remis les cartons de foulards, notamment le 04 Juillet 1980 ;

Qu'à l'opposé, "la F." prétend que c'est plutôt le 20 Décembre 1980 que O. a remis les marchandises à la Société Nationale T. ; qu'il allègue donc que c'est à partir de cette date que court la prescription annale, et verse aux débats photocopie du bordereau no 012460/A-80 délivré par O. à la Société Nationale T. ;

Attendu que la remise des marchandises au destinataire, en l'espèce la H.B., constitue l'ultime phase des opérations de livraison ; qu'elle a eu lieu le 05 Juillet 1980, comme en fait foi le bordereau no 16728 délivré par la Société Nationale T. à la H. B. ;

Qu'il est pour le moins contestable que des opérations relatives à la livraison des cartons de foulards aient encore eu lieu, comme le soutient "la F.", le 20 Décembre 1980, c'est-à-dire après la remise faite au destinataire ;

Qu'en tout état de cause, étant subrogée dans les droits et actions de son assurée, "La F." est, selon les effets attachés à la subrogation, assimilée au subrogeant, en l'occurrence la H. B., quant au délai donné pour agir et au risque de prescription de l'action en justice ; que dès lors, "La F.", tout comme la H. B., ne peut invoquer comme point de départ de la prescription que la date du 05 Juillet 1980 ;

Qu'au surplus, il est curieux que "La F." qui se prétend en droit d'agir contre l'acconier et le transporteur pour pertes et avaries jusqu'au 20 Décembre 1981, invoque la prorogation du délai de prescription jusqu'au 18 Octobre 1981 ;

Que c'est donc à bon droit que le premier juge a retenu le 05 Juillet 1980 comme point de départ de la prescription ;

Attendu que l'action de "La F." pour pertes et avaries a été engagée le 09 Octobre 1981, soit trois mois après l'expiration du délai de prescription intervenue le 05 Juillet 1981 ; que cependant, pour justifier la non prescription de son action, "La F." excipe de ce qu'elle a bénéficié de la part de l'armateur, la C., d'une prorogation dudit délai jusqu'au 18 Octobre 1981, par l'entremise de A. ; que la Société Nationale T. et O. contestent ces allégations ;

Attendu que "La F." produit au dossier photocopie d'une lettre en date à Paris du 03 Février 1981 adressée à A. BP 142 Abidjan 01 Côte-d'Ivoire par la C., 3, Boulevard Malesherbes, 75008 Paris ; que cette correspondance porte en objet la mention suivante :

SURCOUF" Voy 29 à Cotonou le 18/04/1980 cnt no 4 KOBE - cartons foulards ; qu'en outre, elle est libellée comme suit :

1- Nous procédons à une enquête et nous vous ferons connaître dès que possible la suite que nous pourrons réserver à votre réclamation.

2- Entre-temps, nous sommes d'accord pour proroger le délai de prescription jusqu'au 18/10/81.

Attendu que l'examen minutieux de cette pièce ne fait nullement apparaître que O. a été partie à l'accord de prorogation dont se prévaut "La F." ;

Qu'en conséquence, il y a lieu de déclarer "La F." mal fondée en ce moyen et son action prescrite à l'égard de O. pour être intervenue hors délai ;

Attendu que la Société Nationale T. ne conteste pas les termes de la lettre sus-indiquée, notamment l'accord de prorogation du délai de prescription, pas plus qu'elle ne conteste que cette lettre provient de l'armateur ; qu'elle objecte simplement que le premier juge n'indique pas en quoi A., destinataire de ladite lettre est mandataire de"La F." ;

Attendu qu'il ressort de la mention portée en objet de cette correspondance qu'il s'agit du navire S., arrivé à Cotonou le 18 Avril 1980, chargé de cartons de foulards suivant connaissement no 4 émis à Kobè ; que tous ces renseignements ne laissent planer aucun doute sur le litige au sujet duquel l'armateur donne son accord pour la prorogation du délai de prescription ;

Qu'il est incontestable que l'armateur ne peut, sans être assuré d'un quelconque lien entre "La F." et A. adresser à celui-ci une lettre chargée de références aussi précises et relatives au litige qui l'oppose à "La F." ;

Qu'il y a en conséquence lieu de dire que "La F." a bénéficié, par le biais de A., de la prorogation jusqu'au 18 octobre 1981 du délai de prescription de la part de l'armateur, de dire et juger que l'action de "La F." n'est pas prescrite à l'égard de la Société Nationale T. ;

Attendu que le Premier Juge a retenu la responsabilité de la Société Nationale T. en qualité de consignataire du navire en se fondant sur les dispositions de l'article 246 du Code de Commerce Maritime et au motif qu'elle est la représentante légale de l'armateur ;

Mais attendu qu'aux termes de l'article 244 du Code de Commerce Maritime, le consignataire du navire est un mandataire de l'armateur ;

Qu'il est de jurisprudence constante que le mandataire s'efface et le mandant est seul en relations juridiques avec le cocontractant ; que ce principe s'applique à tous les actes où le mandataire figure comme partie au nom du mandant ; que les significations du mandataire valent, dans la limite de ses pouvoirs, comme faites au mandant ;

Civ 15 Juin 1898, D.P. 98.1.559

Req 31 Janv. 1872, D.P. 72.1.246

Paris, 6 déc. 1895, D.P. 96.2.242

Civ., 17 mai 1939, D.C. 1941. 90

Civ., 18 mai 1851 D.P. 51.1.151

Qu'il a été en outre jugé que, que l'on se place sur le terrain du mandat ou sur celui du droit maritime, le consignataire du navire ne peut encourir de responsabilité pour les avaries ou manquants constatés à la livraison que s'il est établi à son encontre une faute personnelle (Trib. de 1ère Instance de Casablanca, 5 Mars 1954 Société Coloniale Lambert c/ Cie Paquet et Manutention marocaine - Ripert : Le Droit Maritime Français 1955 Jurisprudence P. 130).

Que c'est donc à tort que le premier juge a déclaré la Société Nationale T. ès-qualité responsable des avaries et pertes subies par les marchandises ;

Attendu que l'article 220 du Code de Commerce Maritime dispose : En cette qualité, il peut agir en justice tant en demande qu'en défense et il peut recevoir tous actes judiciaires ou extrajudiciaires adressés à l'armateur ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que les marchandises ont été embarquées sans réserve ; que les avaries et pertes sont survenues au cours du transport maritime ;

Qu'il échet dès lors de déclarer le transporteur et le capitaine du navire, représentant légal de l'armateur, seuls responsables des avaries et pertes constatées et de les condamner à payer à la Compagnie d'Asssurance "la F." la somme de 748.458 F avec les intérêts de droit ;

Attendu que le Premier Juge a condamné la Société Nationale T. à payer à "La F." la somme de 150.000 F à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Attendu que les motifs de cette condamnation n'apparaissent nullement dans le jugement querellé ;

Qu'en outre, il ne peut être imputé à la Société Nationale T. une quelconque résistance à dédommager "La F." alors qu'elle conteste les prétentions de cette dernière ;

Qu'il y a donc lieu d'infirmer le jugement sur ce point ;

Attendu que O. sollicite la condamnation de "La F." à 75.000 F à titre de dommages-intérêts ;

Mais attendu qu'il ne justifie pas sa demande et ne rapporte pas la preuve du préjudice dont il demande réparation ;

Que c'est à bon droit que le Premier Juge l'en a débouté ;

Par ces motifs :

Statuant publiquement, contradictoirement, en matière commerciale et en dernier ressort ;

En la forme :

Reçoit la Société Nationale T. et le capitaine du navire s/s S. en leur appel, et O. en son appel incident ;

Au fond :

- Infirme le jugement no 71 du 27 Mars 1985 entrepris ;

- Dit que l'action de "La F." est prescrite à l'égard de O. ;

- Dit qu'elle n'est pas prescrite à l'égard de la Société Nationale T. ;

- Dit que la Société Nationale T. prise en sa qualité de mandataire de l'armateur n'est pas responsable des pertes et avaries ;

- Déclare le capitaine du navire s/s S., représentant légal de l'armateur, responsable des pertes et avaries subies par les cartons de foulards au cours du transport ;

- Le condamne en conséquence à payer à la Compagnie d'assurance "La F." la somme de 748..458 F avec intérêts de droit à compter du 09 Octobre 1981, date de l'assignation ;

- Déboute "La F." et O. du surplus de leurs demandes ;

- Condamne le capitaine du navire s/s S. aux dépens.

Ainsi fait, jugé et prononcé publiquement par la Cour d'Appel de Cotonou.